Dernière mise à jour le octobre 8, 2025
Au Québec, le mot « productivité » est sur toutes les lèvres. Et pour cause : malgré un écosystème d’innovation dynamique, la productivité horaire des entreprises québécoises reste en moyenne inférieure à celle de l’Ontario et du reste du Canada. Dans le secteur manufacturier, il faut encore 5,2 % de plus d’heures de travail pour produire la même valeur qu’en Ontario.
Ce retard s’explique en partie par la structure économique — plus de PME, souvent moins automatisées — mais aussi par une transformation numérique qui progresse en dents de scie. Les organisations investissent, souvent massivement, dans de nouvelles technologies… sans toujours en récolter les gains attendus. L’adoption reste inégale, les processus demeurent fragmentés et les équipes manquent parfois d’accompagnement.
Or, à l’heure où 76 % des organisations québécoises déclarent avoir adopté l’IA générative (KPMG, 2024), la question n’est plus « Faut-il investir dans le numérique ? » mais bien « Comment transformer réellement ces investissements en productivité tangible ? »
Voici trois leviers concrets pour y parvenir.
1. Automatiser intelligemment — pas tout, pas n’importe comment
L’automatisation est souvent présentée comme la solution miracle. Pourtant, une approche indiscriminée peut vite devenir un casse-tête : multiplication d’outils, redondances, complexité organisationnelle… et productivité en berne.
Au Québec, plusieurs grandes organisations montrent la voie d’une automatisation ciblée. Par exemple, une société de transport public utilise l’IA pour prédire la demande en temps réel et optimiser la répartition de ses ressources, tandis qu’un grand acteur du secteur de l’assurance mise sur l’automatisation des processus analytiques pour accélérer le service client. Ces initiatives ne reposent pas sur une automatisation totale, mais sur l’identification précise des zones à forte valeur ajoutée.
Le bon réflexe : commencer par cartographier les flux de travail, repérer les tâches répétitives à faible valeur, puis prioriser les automatisations qui libèrent du temps humain pour des activités stratégiques.
Le piège à éviter : automatiser des processus inefficaces sans les repenser. Comme le dit l’adage : « Automatiser un mauvais processus ne le rend pas meilleur, juste plus rapide à mal faire. »
2. Optimiser les flux de travail et les données — le cœur invisible de la productivité
La transformation numérique n’est pas qu’une affaire d’applications ; c’est surtout une affaire d’architecture interne. Or, nombre d’organisations québécoises se heurtent à une réalité simple : leurs données sont dispersées, leurs processus sont fragmentés et leurs équipes travaillent en silo.
Une étude du CEFRIO souligne que le problème n’est pas tant l’acquisition de technologies que leur adoption et intégration réelle. Sans une vision claire des parcours opérationnels, les outils restent sous-utilisés.
Levier concret : utiliser des méthodes comme la cartographie de processus ou le process mining pour comprendre les flux réels de travail, détecter les frictions et harmoniser les systèmes. Cela permet souvent d’éliminer des doublons, de fluidifier la circulation de l’information et de créer les conditions nécessaires à une automatisation efficace.
Dans un contexte où la pénurie de main-d’œuvre freine l’adoption technologique (cité comme obstacle par 75 % des entreprises québécoises), optimiser les flux devient une façon de faire plus avec les mêmes ressources.
Le piège à éviter : accumuler des solutions numériques déconnectées les unes des autres. Sans cohérence technologique et organisationnelle, les gains de productivité se diluent.
3. Mesurer autrement la valeur — au-delà du ROI immédiat
Trop souvent, les projets numériques sont évalués uniquement à l’aune de leur retour sur investissement immédiat. Cette approche, si compréhensible, est aussi limitative. Les vrais gains de productivité se déploient dans la durée : meilleure qualité des données, réduction des erreurs humaines, fluidité accrue entre équipes, capacité d’adaptation organisationnelle…
Au Québec, l’Offensive de transformation numérique (OTN) menée par le gouvernement montre l’impact de cette vision à moyen terme. Plus de 17 000 entreprises ont été accompagnées dans leur virage numérique ; celles qui ont été évaluées affichent une hausse moyenne de productivité de 15 %. Ces résultats ne sont pas le fruit d’un outil miracle, mais d’un effort concerté de planification, de financement et d’accompagnement.
Levier concret : définir des indicateurs de succès qui reflètent réellement la valeur créée : temps libéré pour l’innovation, réduction des étapes inutiles, satisfaction des employés, qualité des données, rapidité de prise de décision.
Le piège à éviter : abandonner un projet trop tôt parce que les gains immédiats ne sont pas spectaculaires.
Un virage à amplifier
Le Québec dispose d’atouts considérables : un écosystème IA de calibre mondial, des politiques publiques ambitieuses, et des entreprises de taille moyenne et grande capables d’investir. La forte adoption de l’IA générative — 76 % des organisations québécoises contre 61 % à l’échelle nationale — montre qu’un mouvement est déjà en cours.
Mais pour transformer cette adoption en gains réels, il faut dépasser la logique d’achats technologiques. La productivité numérique se construit sur trois piliers complémentaires :
- des automatisations ciblées,
- des processus optimisés,
- et une mesure de valeur élargie, alignée sur la stratégie organisationnelle.
En somme, la productivité ne se décrète pas : elle se design, elle s’orchestre et elle se pilote dans le temps. Les organisations qui sauront combiner vision stratégique, discipline opérationnelle et intelligence technologique seront celles qui tireront pleinement parti de cette nouvelle ère numérique.
Cet article s’inscrit dans la réflexion de Talsom sur l’intelligence organisationnelle : comment faire converger humain, processus et technologie pour créer de la valeur durable.